14 jours
Notre bus se met à manoeuvrer, signe pour nous qu’il est bientôt l’heure d’arriver. En faisant marche arrière vers le parking de l’hôtel, nous semblons gêner le traffic derrière nous dont une voiture de police. Le bus s’arrête juste en face de l’entrée principale de l’hôtel, devant laquelle on peut apercevoir du personnel attendant le bus.
Toujours tout de blanc vêtu, deux personnes montent dans le bus. Ils nous remettent à chacun un petit dépliant contenant la carte de notre chambre d’hôtel ainsi que quelques informations concernant le wifi, l’adresse de l’hôtel etc. On nous rend notre passeport et nous fait remplir à nouveau un formulaire avec nos différentes informations, notre adresse finale de destination, la personne à contacter, notre numéro de téléphone personnel etc. Nous sommes environ une quinzaine, majoritairement chinois, ainsi que 2 ou 3 occidentaux, probablement français du même vol que moi.
Vient ensuite l’heure d’un speech très attendu: les règles de notre quarantaine. En effet la quarantaine s’effectue dans des hôtels réquisitionnés pour l’occasion, chaque hôtel ayant des infrastructures différentes, les règles peuvent varier légèrement d’un hôtel à un autre. Le point clé est surtout sur la possibilité ou non de se faire livrer quoi que ce soit, les horaires des repas etc.
Au centre du bus, une personne en blouse blanche commence à énoncer les règles une par une. Étant tout à l’avant du bus, je suis dos à elle mais peux voir le visage (la partie haute bien évidemment) de l’ensemble des gens, l’écoutant attentivement.
Malheureusement pour moi, l’anglais n’était pas au menu cette fois-ci. J’ai beau avoir compris quelques bribes en chinois de ce qui a été dit, je n’ai aucune idée de la sauce à laquelle je vais être mangé. Il y a 1 ou 2 français dans le fond du bus qui semblent la comprendre bien mieux que moi, à en constater leur réaction. Quelques questions sont posées puis nous nous apprêtons à sortir du bus.
En descendant les marches on aperçoit garée à côté la voiture de police que nous gênions plus tôt, gyrophares allumés. Cette dernière nous a en fait très certainement escorté pendant tout le trajet, tel un transfert de détenus.
Environ 5 personnes sont en bas à nous attendre, couverts de la tête aux pieds également, et nous invite à récupérer nos valises. En récupérant la mienne au fond de la soute, j’en profite pour adresser la parole à un français et lui demander si il a compris quelques choses aux différentes règles. Il me répond alors: “On est pas tombés sur un bon hôtel, c’est la galère pour se faire livrer!”. Nous n’avons malheureusement pas le temps de continuer à échanger, on nous invite à poser nos bagages un peu plus loins devant la porte de l’hôtel. Cela aura été mon dernier échange en face à face avec quelqu’un avant le début de la quarantaine.
Deux personnes munis d’un gros pulvérisateur aspergent nos valises à plusieurs reprises tandis que nous avançons en file indienne vers un côté de l’hôtel. Nous longeons la porte principale et le lobby puis arrivons devant des marches et un escalier, menant directement au première étage. Nous montons ensuite dans un ascenseur pour le troisième étage.
En sortant de l’ascenseur, on aperçoit le couloir, aménagé à l’occasion. Il fait une vingtaine de chambres de long. La plupart des portes sont grand ouvertes, lumières allumées à l’intérieur. Devant chaque chambre il y a contre le mûr comme une petite caisse recouverte entièrement d’un sac en plastique jaune transparent, les poignées extérieures des portes sont recouvertes de plusieurs couches de film plastique. A travers nos masques on peut sentir l’odeur très prononcée de l’eau de javel, qui règne dans tout le couloir. On nous invite à rejoindre nos chambres, La mienne est en fait la toute première du couloir, la plus proche de l’ascenseur dont nous sortons, la chambre 8401 pour être précis. La porte est bloquée par un pack de 24 petites bouteilles d’eau qui sera mon stock d’eau pour les 2 semaines à venir.
Je pose rapidement mon sac à dos à l’entrée de la chambre et ressors dans le couloir immédiatement pour voir ce qu’il s’y passe, n’ayant pas franchement envie de déjà fermer la porte … C’est assez bruyant, chacun se dirige en vitesse vers sa chambre, comme si ils avaient hâte, les blouses blanches parcourent le couloir et répondent à quelques questions à droite à gauche. L’ascenseur s’ouvre à nouveau et les gens qui en sortent se mettent à leur tour à chercher leur chambre.
En faisant un premier tour de ma chambre je m’aperçois qu’en fait tout a été nettoyé il y a peu. Il y a un petit pulvérisateur contenant vraisemblablement de l’eau de javel. Deux sachets de toute petites pastilles sont également disposées dans la chambre.
L’ascenseur s’ouvre encore une fois et ce sont cette fois-ci nos valises, qui ont elles eu la chance de passer par la grande porte! Chacun sort sa valise puis l’amène dans sa chambre. On nous remet une feuille recto verso, en anglais pour moi, ayant pour titre “Warm tips for stay” (qu’on traduirait littéralement par “Conseils chaleureux de séjour”). Elle liste en 8 points les règles / consignes à suivre pendant notre quarantaine, qu’on avait commencé à nous énoncer dans le bus. Je prendrais le temps de les lire plus en détails plus tard.
Chacun a récupéré ses affaires, il est alors l’heure de fermer la porte. Nous sommes le lundi 15 novembre aux alentours de 19h et c’est le début de ma quarantaine pour les 14 prochains jours. La chambre est plutôt spacieuse, très classique. Un grand couloir avec une porte pour la salle de bain et quelques placards, et la chambre au fond avec une télé, une petite table, un grand lit double et un bureau.
Le premier réflexe est bien entendu de chercher le code wifi dans tout ce qu’on m’a remis, le deuxième étant “quand est-ce qu’on mange ?”. Sur la feuille est écrit les horaires des livraisons de repas. 8:00-9:30 pour le petit déjeuner, 11:30-13:00 pour le déjeuner et 17:30-18:30 pour le dîner. Il est donc trop tard pour le dîner. N’ayant pas mangé de journée je demande à Xin (ma petite amie) d’appeler l’hôtel pour voir si il encore est possible de se faire livrer à manger. Pour cela j’appelle la réception avec le téléphone de la chambre que je mets en haut parleur, à côté du quel j’approche mon téléphone en communication avec Xin, également en haut parleur, pour qu’ils puissent communiquer directement en chinois. Une fois la conversation terminée, Xin m’explique que les livraisons de l’extérieur se font uniquement en même temps que la livraison des repas: chaque colis sera apporté à la chambre en question lors de la livraison du repas suivant. Les conditions pour les colis sont également assez strictes: tout doit être bien emballé, hermétiquement pour ce qui est de la nourriture.
Étant donné notre heure tardive l’hôtel m’autorise exceptionnellement à me faire livrer. Xin m’explique le processus que la réception lui a communiqué: La réception reçoit ma commande, la place dans l’ascenseur, appelle le téléphone de ma chambre pour me faire signe, puis je sors de ma chambre et appelle l’ascenseur, récupère ma commande puis retourne dans ma chambre. Tout cela pour éviter tout contact. Il nous est normalement interdit de mettre un pied en dehors de notre chambre, et ce fût la dernière fois de ma quarantaine. Je me suis ainsi fait livrer des nouilles instantanées ainsi que quelques snacks.
Il était alors 21h, soit 14h heure française, mais la journée fût tellement longue et complexe que je n’eu aucun soucis à m’endormir dans la foulée, ce qui m’a permis de ne pas réellement subir de décalage horaire.
Le lendemain je suis réveillé par quelqu’un frappant à ma porte aux alentours de 7h30. Je me lève et ouvre la porte, il n’y a plus personne mais le petit déjeuner avait été déposé sur la caisse à côté de ma porte. Je ne m’attendais à ce que ce soit aussi tôt (30 minutes plus tôt que l’heure annoncée). Les chinois sont plutôt carrés avec les horaires, et ont même tendance à souvent être en avance! Le petit déjeuner est constitué d’une petit boîte contenant un oeuf dur, deux baozi (petites brioches fourrées de viande et de légumes), une patate douce, un yaourt et un bol de riz bouilli.
À 9h on frappe à ma porte une nouvelle fois, une voix d’homme derrière la porte énonce quelque chose en chinois. Quand j’ouvre la porte cette fois-ci, un jeune homme en blouse blanche avec un thermomètre à la main me salue et fait un pas vers moi afin de me mesurer la température au front. Il m’annonce ma température à voix haute puis continue sa route dans le couloir. Je l’entends continuer son chemin et procéder au même rituel aux autres portes pendant plusieurs minutes. Ce même rituel se répéta également à 15h, et ce tous les jours sur toute la durée de la quarantaine. La phrase qu’il prononçait était en fait (你好测体温 Nǐ hǎo cè tǐwēn, qu’on traduirait par “bonjour contrôle de température”).
À 11h15 j’entends du bruit et des gens discuter dans le couloir. A travers le judas j’aperçois 2 ou 3 dames en blouse blanche poussant un charriot en dehors de l’ascenseur, sur lequel est posé un grand bac contenant les plateaux repas. Elles parcourent le couloir avec le charriot en déposant sur chacune des caisses un plateau. Sur le retour, elles frappent une fois sur chacune des portes pour annoncer qu’elles sont passées, qui était le bruit qui m’a réveillé le matin même. Chaque repas(midi et soir), est constitué d’une barquette en plastique avec 4 compartiments, un très grand contenant du riz à foison, et 3 autres plus petits contenant généralement de la viande et des légumes, une omelette parfois etc. Les plateaux contiennent systématiquement du riz mais le reste varie à chaque repas. La barquette est accompagnée d’une petite soupe dans un tupperware en plastique. Tous les plats étaient tous plutôt bons, et toujours copieux.
À 17h30 on reçoit le dîner, de la même manière. C’est un peu tôt pour dîner, mais le plat n’étant pas très chaud et n’ayant aucune façon de réchauffer, nous sommes obligés de manger au moment dès lors que nous recevons les plateaux. Je compris alors que mon rythme serait calé sur les heures des repas, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose.
Afin de nous débarrasser de nos déchets, il nous est fournis quotidiennement de grands sacs plastique jaunes. Les sacs sont assez explicite, il est écrit dessus en gros: “Warning! Infectious medical waste” avec un gros logo qui ressemble un peu au logo type nucléaire / toxique. Sur la feuille des règles, il nous est demandé de fermer complètement le sac, de l’asperger d’eau de javel et de le poser devant notre porte avant 19h chaque soir car il n’y a qu’un seul ramassage par jour. Il y a une autre règle qui m’a plutôt marqué. Il nous est demandé, lors de notre passage aux toilettes, de mettre dans la cuvette une pastille de javel et d’attendre 1h avant de tirer la chasse d’eau, afin de désinfecter.
Voilà un peu la journée type. Au bout du 3ème jour j’ai repris le boulot en télétravail, en travaillant de 11h à 20h, me permettant de faire pas mal de choses le matin dont un peu de sport pour ne pas se tasser et un peu de paperasse, mais également d’avoir plus de temps en commun avec les collègues. Le premier jeudi, à l’heure de se faire contrôler la température, j’ouvre la porte comme d’habitude mais cette fois-ci c’est une dame, qui avait dans les mains un sachet contenant un flacon avec un liquide rose et qui au lieu d’approcher un thermomètre vers mon front me plonge un écouvillon directement dans le nez, petit test PCR surprise. J’ai eu 3 tests PCR sur les 2 semaines, un peu par surprise à chaque fois.
Xin est venu me voir deux fois, il y avait des arbres et c’était un peu loins mais nous avons tout de même réussis à nous apercevoir. Pendant toute la quarantaine nous avons passé beaucoup de temps au téléphone et ça m’a forcément beaucoup aidé à faire passer le temps même si ce fut tout de même des fois plutôt long. J’attendais parfois les repas un peu avec impatience, pas forcément par faim mais plutôt car ils marquaient le rythme de mes journées. J’essayais de ranger correctement la chambre pour que ce soit quand même agréable à vivre.
Le vendredi avant la fin de la quarantaine lundi, un jeune homme avec un stylo et une feuille à la main est venu me demander qui viendrait me chercher et quelle serait la plaque d’immatriculation du véhicule. J’ai appelé Xin pour qu’elle communique avec lui, nous lui avons indiqué que nous prendrons le taxi. Je fus également appelé samedi pour savoir par quel moyen je souhaitais payer. Le prix pour la pension complète est de 400 Yuan par jour, soit 55 euros environ, ce qui est moins que ce à quoi je m’attendais.
Le périple sanitaire ne s’arrête pas là, après les 14 jours à l’hôtel je dois m’isoler encore 7 jours à domicile avant de pouvoir récupérer un QR code vert sur mon téléphone qui me permettra d’aller dans les lieux publics. Le quartier dans lequel habite Xin a été prévenu de mon arrivée et est déjà rentré en contact avec elle afin de valider la date de mon arrivée et de confirmer avec elle les différentes règles. Je devrais prendre ma température 2 fois par jour et réaliser 2 tests PCR dans la semaine à l’intérieur du quartier. Nous aurons un groupe de discussion sur wechat avec eux pour partager les résultats.
Comme vous pouvez le voir, ça ne rigole pas beaucoup avec le Covid ici, mais je pense que ça fonctionne plutôt bien. En ayant un contrôle strict au niveau des frontières ils sont un peu plus cool sur les déplacements de population à l’intérieur du pays et sont moins sensibles aux nouvelles vagues, même si le nouveau variant sud-africain semble être arrivé ici aussi malgré tout. Malheureusement je pense que très peu de pays ont la capacité de mettre en place ce genre de processus drastique. Même si on a l’impression d’être un peu considérés comme des lépreux, ils s’assurent à 100% que nous ne sommes pas porteur du virus, et je pense que c’est la meilleur chose à faire.
Je suis également très étonné du nombre de personnes différentes s’occupant de nous pendant la quarantaine. Je suis assez curieux sur leur profil, je ne sais pas si ce sont des gens travaillant pour l’hôtel, ou si ce sont du personnel médical, ou peut être même militaire. Dans tous les cas je pense que leur travail est loins d’être simple, et considéré à mon avis comme très dangereux.
Cette quarantaine, très certainement unique en son genre, restera gravée dans ma mémoire pour un moment!